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La vie sans voiture(s)

L’équilibre de Randy


Schéma : L’équilibre de Randy (1)

L’équilibre de Randy

par Randall Ghent *

Quelque chose sonne faux à mon oreille lorsque les associations pour des transports alternatifs se mobilisent dans l’organisation d’une initiative européenne de haut niveau telle que la journée sans voiture du 22 septembre.

Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce que cette initiative est particulièrement mauvaise ? Non. Si nous supposons un instant que les bureaucrates en faveur de cette journée sans voiture sont de “bons bureaucrates”, est-ce que ça les aide d’avoir notre support inconditionnel ? Non. En fait c’est le contraire. Ils seront toujours perçus plus raisonnables et plus réalistes si nous, en tant que mouvement, prenons une position plus radicale, par exemple en nous attaquant à la possession individuelle d’une automobile plutôt qu’à son utilisation seulement, ou en promouvant la création ou l’expansion de zones sans voiture, autres que des zones commerciales ou touristiques.

L’étendue de telles propositions est infinie; certaines peuvent même être populaires. Elles sont pourtant complètement en dehors du champ de vision du public. Mais si notre mouvement se montre aussi (peu) radical que les bureaucrates de l’union européenne, alors quel effet propre pouvons-nous avoir sur l’opinion publique ? Et si la réponse est “aucun”, alors pourquoi continuer dans cette direction ? Réponse: ça ne sert à rien. Notre rôle en tant que mouvement est d’attirer l’attention du public vers des réformes plus radicales que ce qu’ose le gouvernement. Nous obtiendrons toujours moins que ce que nous demandons, et nous devons donc prendre la position la plus radicale dans le raisonnable: “soyons réalistes, demandons l’impossible” et laissons les politiciens faire des compromis.

Nous devons réfléchir à la façon dont fonctionne l’opinion publique. Prenons le modèle de la balançoire “tapecul”, oui, le “tapecul”. Mais à la place d’enfants à peu près de même poids de chaque côté, mettons l’industrie (2) d’un côté, et les groupes pour des transports alternatifs de l’autre (voir schéma). Sauf que le pivot du tapecul n’est plus au centre, et l’industrie , comme vous le savez, pèse bien plus lourd que nous. On place toutes les positions politiques possibles sur l’axe du tape-cul, depuis le “4×4 pour tous” tout à droite, jusqu’au “pour un monde sans voiture” tout à gauche.

Le gouvernement et le public aussi sont représentés sur ce drôle de tape-cul. Sauf que le gouvernement ne se place ni trop à gauche ni trop à droite, préférant une position d’équilibre, au milieu du spectre couvert par tous ces “groupes d’intérêt”. Le gouvernement sera donc très proche de l’industrie, et entouré de l’opinion publique, juste au-dessus du point de pivot.

Et voici le plus crucial : le public peut être attiré vers l’une ou l’autre des extrémités du tapecul, en fonction des actions de l’industrie, du gouvernement, d’autres acteurs, et de nous-mêmes. Mais, vu le poids de l’industrie, du gouvernement, et de ceux alignés avec eux, le public n’a pas conscience que l’axe s’étend très à gauche. Souvent, ils ne nous ont pas remarqués, assis, tout au bout de notre côté de l’axe. Notre poids est si petit, et nous sommes trop loin pour être bien vus.

Certains groupes au sein de notre mouvement se sont rapprochés du public, ce qui a eu pour conséquence d’attirer le public un peu plus vers la gauche de l’axe, compensant ainsi pour la perte de levier. D’autres groupes,par exemple ceux qui soutiennent fermement la “voiture propre“- se sont tellement approchés du centre de l’axe qu’ils occupent maintenant la même position que William Clay Ford, Jr. Leur argument est de dire que leur poids (minuscule) attirera l’industrie vers leur position, mais en réalité, l’industrie s’intéresse bien plus à son profit et à l’opinion publique.

En fin de compte, les partisans de la “voiture propre” sont assis plus ou moins sur le point de pivot, contribuant très peu ou pas du tout à chacun des côtés de l’axe. Plus nous nous rapprochons du gouvernement, plus l’industrie fait pencher le tapecul de son côté, et gagne donc la bataille. Comme le gouvernement ne prendra jamais une position plus radicale que la nôtre, l’incapacité à rester plus radical que le gouvernement signifie que notre mouvement n’avance plus.

A ce moment, il y a deux options valables: arrêter toute action et rentrer chez soi, ou prendre une position plus à gauche de l’axe. C’est notre boulot et c’est vrai pour tous les groupes de transport alternatifs – de maintenir une position plus forte que le gouvernement.

Les groupes radicaux de notre mouvement doivent oublier leur désir d’afficher une image raisonnable, et chercher les bonnes tactiques pour amener les idées radicales dans la vision du public. Les groupes travaillant dans l’éducation du public doivent trouver des moyens pour paraître raisonnables en défendant des positions radicales.

La tâche des groupes les plus conservateurs de notre mouvement doit être de pousser le gouvernement dans la bonne direction. Notre rôle ne doit jamais être sur les côtés et d’applaudir.

Dans le cas de la journée européenne sans voiture, on peut laisser le public jouer ce rôle. Il le fera de toute façon, comme il s’en est déjà montré capable. Nous sommes souvent capables de contrebalancer le poids énorme de l’industrie, en attirant l’opinion publique de notre côté (comme au Danemark et aux Pays-Bas, ou des progrès ont été faits).

Mais dans ce mouvement, une qualité évidente de notre tape-cul a été ignorée : la capacité d’un petit poids, faisant levier tout au bout de l’axe, de bousculer les choses, en sautant haut et fort. Si cette énergie est focalisée de façon stratégique et efficace, elle peut se faire remarquer considérablement, en attirant plus de poids de son côté, au sein de notre mouvement, et en provenance du public, qui se définit comme penchant le plus du côté gauche de l’axe. Et ceci, mes amis, est exactement ce que la journée mondiale sans voiture se veut être : le poids minuscule mais audacieux et énergique tout à gauche sur l’axe du tape-cul.

Plutôt que de se focaliser sur la réduction de l’usage de la voiture dans les centre-villes, et d’autres réformes que le public approuve déjà (en théorie), nous devons aider tout le mouvement et nos alliés à travailler sur d’autres aspects pour attirer l’attention du public sur les possibilités de changements plus fondamentaux. Bien que nous travaillions à un changement durable, nous avons quand même besoin de la tactique d’un événement sur un seul jour pour focaliser nos énergies, qui sont limitées. Mais le message qui en ressort doit être cohérent avec notre position sur l’axe, radicale mais extrêmement bien ficelée en même temps.

* Randall Ghent (Randy), fondateur de la revue Carbusters (”Les pèteurs de bagnoles”) – carbusters.org, président de l’association Casseurs de pub, casseursdepub.org

(1) Randy : Randall Ghent
(2) L’industrie automobile doit ici être comprise comme le complexe industriel bagnolo-pétrolier au sens large (constructeurs automobiles, multinationales du pétrole, sous-traitants, etc.)



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4 Commentaires, Commentaire ou Rétrolien

  1. Camille

    D’accord pour que les associations, mais surtout les personnes, piétons, cyclistes, et tous-tes celles et ceux qui luttent contre l’omniprésence automobile se réapproprient la lutte localement, de manière autonome sans passer par un cadre institutionnel. Pour la petite histoire, il faut savoir qu’en France, le 22 Septembre n’est plus officiellement la journée sans voiture mais la journée de la mobilité. Quant à la méthode discutée ici, j’adhère globalement, mais on pourra objecter que c’est la manière de gouverner via des institutions représentatives avec plusieurs niveaux d’indirections qui nécessitent cette démarche. Peut-être certains-es préférerons modifier ce système de gouvernance plutot que d’adopter la stratégie présentée ici, je pense pour ma part qu’elles sont conciliables.

  2. gwen

    Plus radical que moi tu meurs, ok
    Et concretement ça donne quoi ?
    Peau de balle.
    C’est très facile de dire, c’est parce que je suis radical, que les autres vont dans cette direction.
    Mais en fait , ils y vont avec où sans toi de toute façon.
    En démocratie, en entreprise, en association ceux qui font avancer les projets ce sont ceux qui rassemblent, qui savent convaincre la majorité d’aller dans un sens ou dans l’autre, qui savent faire des propositions concrètes , applicables et enfin savent les appliquer.
    je vous invite a relire la fable de la fontaine qui parle de la mouche du coche. Voilà à quoi vous le faites penser.

    Dommage j’étais venu voir s’il y avait des propositions à utiliser dans mon quartier, je pense qu’avec 5% de changement par an dans mon mode de vie , j’obtiendrai plus de résultat qu’avec 100% de votre radicalité et 50 journées sans voitures qui déplacent plus de brasseurs d’air en 4×4 que d’économies d’énergies.

    Bon aller je retourne dans la vraie vie, couper du bois , faire du compost, éteindre l’ordinateur et profiter du soleil et du vent , mettre un pull au lieu d’allumer le chauffage, çà c’est radical.

    Avec 1000 € par mois vous pouvez acheter seulement 816 litres de gazoil aujourdhui, c’est moins qu’hier et plus que demain. C’est facile d’être écolo et de diminuer la consommation, il suffit de baisser les salaires et d’augmenter les prix.

    Pas besoin d’avoir un tapecul.

  3. Moa

    Je découvre cette réflexion sur la radicalité des idées. Convaincant. Ca mérite réflexion plus poussée.

    GWEN : « Plus radical que moi tu meurs, ok Et concretement ça donne quoi ? Peau de balle. »

    Ce n’est pas un concours de celui qui pisse le plus loin. D’après ce que je comprends la phrase « Plus je suis radical, plus les autres acteurs moins radicaux mais plus fédérateurs, défendront les idées pour lesquelles je me bats même en les amputant de ceratines de mes propositions »

    Au vu de l’audience minime des mouvements radicaux, ce qui, parmi le grand public seront choqués par ces propositions radicales -car remettant en cause leur petit confort egoiste- n’auront pas un grand impact. Par contre, les idées radicales elles pourront être reprise par des mouvements fédérateurs que vous décrivez gwen ; « En démocratie, en entreprise, en association ceux qui font avancer les projets ce sont ceux qui rassemblent, »

    C’est très bien illustré par cet article.

    Gwen : « Dommage j’étais venu voir s’il y avait des propositions à utiliser dans mon quartier, je pense qu’avec 5% de changement par an dans mon mode de vie , j’obtiendrai plus de résultat qu’avec 100% de votre radicalité  »

    Non, vous obtenez moins. Votre action isolée, à part vous faire du bien, n’a absolument aucun impact.

    Gwen : « Bon aller je retourne dans la vraie vie, couper du bois , faire du compost, éteindre l’ordinateur et profiter du soleil et du vent , mettre un pull au lieu d’allumer le chauffage, çà c’est radical. »

    Non ce n’est pas radical. De plus en plus de gens, le font. Peu par conviction, bcp par économie ou par effet de mode. Vous êtes dans la même moyenne. Rien de plus.

    Gwen : « Avec 1000 € par mois vous pouvez acheter seulement 816 litres de gazoil aujourdhui, c’est moins qu’hier et plus que demain. C’est facile d’être écolo et de diminuer la consommation, il suffit de baisser les salaires et d’augmenter les prix. »

    Ca c’est radical.

    Pour terminer, je copie/colle l’intervention de carfree concernant article « Tout fonctionne ».

    CarFree : « Et je ne partage absolument pas l’idée selon laquelle la « radicalité » nous isolerait, c’est tout le contraire et je vais essayer de le prouver de trois manières:
    1: qu’est-ce que la radicalité en matière de transport et de mobilité? Sur ce site, il y a un slogan simple: la vie sans voiture(s)! C’est une évidence pour un petit nombre de gens (pour l’instant) et c’est pourtant radical pour le plus grand nombre!
    2: être radical sur les positions de transport et de mobilité (pour ce qui nous concerne sur ce site, mais c’est aussi valable pour tout autre domaine), ce n’est pas seulement s’adresser au grand public, au gouvernement ou aux industriels; c’est aussi s’adresser directement aux grandes associations officielles de défense de l’environnement et faire ainsi pencher la balance vers d’autres alternatives. C’est tout le sens de la théorie de Randy: exiger beaucoup permet d’obtenir un peu, exiger pas grand chose permet d’obtenir… rien! En défendant des positions radicales, on amène indirectement des associations plus officielles à réviser leur position sous peine de voir leurs positions résumées aux positions gouvernementales…
    3: être radical, enfin, c’est aussi attirer l’attention, tirer les gens, les médias et les associations de leur léthargie, cette léthargie qu’on déplorer tous sur ce site! Et même si c’est en choquant, en provoquant et en suscitant une première réaction de défense ou de rejet de la part de gens qui ne veulent pas remettre en cause leur mode de vie… Car au bout du compte, il en reste toujours quelque chose… Montrer quelque chose de radical, c’est à mon avis plus questionner les attitudes, les comportements et les modes de vie que de rester dans une position moyenne qui au bout du compte, conforte tout le monde dans ses choix et ses façons de faire… »

  4. admiratif

    « La journée de la mobilité » : cette appellation prouve qu’ici aussi le lobby automobile a gagné une bataille. Déjà je n’ai jamais cru à la journée sans voiture, j’ai toujours trouvé çà un leurre, il devrait y avoir 365 journées sans voiture. C’est comme « la journée du patrimoine » « la journée de la femme », « la journée de l’amicale bouliste de Trifouilly les Oies », etc, on crée des « journées » pour toutes les causes possibles et imaginables, çà en devient grotesque et tout çà se dilue dans une bouillie informe…